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Tounsia@Paris
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5 février 2012

BBC:the Harvard school of Gastronomy

( Article Paru dans le magazine M.du monde, 06/01/2012)
La cuisine a son Harvard


basq

Apprendre la cuisine sur les bancs de l'université comme d'autres étudient le droit ou la médecine, c'est ce que propose le Basque Culinary Center, à Saint-Sébastien, en Espagne. Fondée par des chefs étoilés, cette faculté privée veut élever la gastronomie au rang de science.Par Sandrine Morel /Photos Jon Cazenave

  C'est un peu comme si les meilleurs chirurgiens s'unissaient pour créer une nouvelle université de médecine ou que les plus grands footballeurs fondaient une académie sportive. A Saint-Sébastien, au Pays basque espagnol, une ville riche en étoiles au Michelin, des chefs se sont unis pour créer, début octobre 2011, le Basque Culinary Center (BCC), seconde faculté de sciences gastronomiques en Europe après celle de Turin, en Italie.

L'idée d'enseigner la cuisine à l'université remonte à une trentaine d'années. Elle était prônée par de grands chefs basques comme Juan Mari Arzak ou Pedro Subijana. " Personne n'y croyait, se souvient ce dernier, dans son magnifique restaurant 3-étoiles Akelarre, situé sur le mont Igueldo d'où il domine la mer. J'y ai consacré beaucoup de temps et d'argent, j'ai d'ailleurs commandé des études de viabilité. J'ai toujours pensé que, même s'il existe de très bonnes écoles hôtelières, il fallait créer des hautes études gastronomiques qui dispenseraient une formation plus complexe et plus complète. "

Une question de dignité pour les uns, un besoin de reconnaissance sociale pour les autres. " Dire que tu es cuisinier et que tu as suivi une formation universitaire me semble incroyable. Enfin, on va nous mettre sur le même plan que les autres cursus ", se réjouit Alvaro Garrido, à la tête du restaurant Mina, à Bilbao, et conseiller du BCC. Finalement, il y a quatre ans, la mairie de Saint-Sébastien convoque les chefs pour leur faire part de sa décision : soutenir la réalisation de ce centre culinaire par le biais d'un partenariat avec l'université privée de Mondragón. L'investissement, de 17 millions d'euros, bénéficiera de la collaboration du ministère des sciences et de l'innovation, du gouvernement basque, et de la province de Guipuzcoa. " Ce projet nous a intéressés d'emblée. La gastronomie est un secteur avec du potentiel, qui peut donner lieu à une transmission de savoirs et à de la recherche et qui possède une dimension internationale évidente ", raconte Joxe Maria Aizega, vice-recteur de l'université de Mondragón, devenu directeur du BCC.

Cette conviction doit sans doute beaucoup au succès que remporte Ferran Adriá, l'un des tenants de la cuisine moléculaire et chef d'El Bulli, près de Barcelone, élu meilleur restaurant au monde par la revue Restaurant durant quatre années consécutives, entre 2006 et 2009. Or le chef catalan reconnaît l'influence dans sa carrière de Juan Mari Arzak, l'inventeur de la nouvelle cuisine basque. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si le BCC est né dans la capitale des pintxos, nom donné aux tapas sophistiquées que l'on déguste au Pays basque, dans une ville où le grignotage a été élevé au rang d'art et la haute cuisine déclinée en miniature. Le tourisme gastronomique y est une réalité indiscutable. On ne visite pas la vieille ville sans faire la tournée des bars à pintxos. Des concours célèbrent les plus inventifs, les meilleurs, les plus beaux. La cuisine est une des grandes fiertés de la région, la qualité des produits vantée dans toute la péninsule et la renommée de ses chefs n'a pas de frontière : Arzak, Berasategui, Subijana, récompensés par les trois étoiles du Guide Michelin, sont suivis de près par Aduriz, Arbelaitz et bien d'autres. Pour ces chefs, le BCC, fondation sans but lucratif, doit devenir une plate-forme leur permettant d'exporter leur savoir-faire, mais aussi un vivier où ils pourront puiser de futurs collaborateurs et successeurs, et un outil de réflexion sur l'avenir et la responsabilité de la grande cuisine.

Sur les hauteurs de Saint-Sébastien, dans le parc technologique de Miramon, le BCC est installé dans un édifice parfaitement intégré dans le paysage, dont la forme évoque des assiettes empilées. Il accueille, depuis le 3 octobre 2011, 56 étudiants en gastronomie et arts culinaires. Ses promoteurs osent dire qu'il est " unique au monde " et " pionnier dans son domaine ".

Unique ? En Italie, l'association internationale Slow Food a ouvert en 2004 l'université privée de sciences gastronomiques de Turin. Le Basque Culinary Center s'en est inspiré, comme du Culinary Institute of America (CIA) et des grandes écoles hôtelières suisses mais, nulle part ailleurs, une école n'est associée, comme à Saint-Sébastien, à un centre de recherche et développement où, à terme, une quarantaine de chercheurs exploreront les coutumes alimentaires, le développement technologique, l'élaboration et la conservation des aliments ou encore la gestion des entreprises de la restauration.

à la différence d'une école de cuisine et loin aussi d'une école hôtelière traditionnelle, la nouvelle faculté basque ne s'intéresse pas qu'aux cours pratiques : 70 % du cursus sont consacrés à des matières universitaires. Informatique, histoire et sociologie de la gastronomie, économie, physique-chimie, psychologie, communication, droit du travail, législation alimentaire et environnementale, marketing et gestion commerciale viennent compléter les cours de cuisine, de service en salle et d'oenologie. Un auditorium de 200 places pour les démonstrations culinaires et les dégustations de vin, de nombreuses salles de cuisine équipées avec la dernière technologie, des laboratoires et une bibliothèque complètent l'offre éducative de cet édifice de 5 étages et 15 000 mètres carrés.

Dans les cuisines, participant aux ateliers " viande ", " pain ", " desserts ", 56 jeunes, entre 18 et 25 ans, 43 % de filles et 57 % de garçons, répartis par groupes de 14, écoutent religieusement leurs professeurs. Passionnés de cuisine, ils sont là, attentifs, rêvant déjà de devenir la prochaine étoile de la gastronomie. Comme Rocio Romero, 20 ans, originaire de Murcie, qui pour le moment gratte soigneusement la coquille d'une moule alors que l'an dernier il arpentait les couloirs d'une faculté de droit dans le sud-est de l'Espagne. " La cuisine, c'est ma passion, mais je ne me voyais pas faire une école hôtelière. Par dépit, j'étudiais le droit. Mais ici, je me sens à ma place. Les installations, les professeurs, tout est impressionnant ", souligne le jeune homme.

Pour arriver jusque-là, il a dû fournir un bon dossier scolaire dont la qualité pesait à 60 % dans le concours d'entrée, et participer à un entretien de sélection à Madrid visant à juger sa motivation, ses aptitudes et sa capacité à travailler en équipe. Et pour n'exclure aucun candidat pour raisons financières, l'université a mis en place un système de bourse dont bénéficient déjà six élèves qui ne peuvent pas payer les 8 000 euros annuels que coûte la formation.

Cette année, 23 étudiants sont basques, 27 originaires du reste de l'Espagne et 6 sont étrangers mais, à terme, le centre souhaite rassembler un tiers de chacune de ces provenances pour " favoriser l'échange culturel ".

Derrière le BCC existe une idéologie que le prestigieux " conseil international ", baptisé le " G9 ", se charge de diffuser dans le monde entier. Présidé par Ferran Adriá, il rassemble neuf chefs internationaux parmi lesquels le Français Michel Bras, le Britannique Heston Blumenthal, le Danois René Redzepi ou le Péruvien Gastón Acurio.

" Le G9 va introduire une réflexion très importante dans la profession ", assure le directeur Joxe Maria Aizega. De fait, leur dernière réunion, qui s'est tenue à Lima au Pérou, en septembre, n'est pas passée inaperçue. C'est d'elle qu'est sortie la "Lettre ouverte aux cuisiniers de demain", dans laquelle les chefs énoncent la responsabilité des cuisiniers envers la nature, la société et le s-avoir : responsabilité d'oeuvrer à la " préservation et à la promotion de variétés et d'espèces déterminées ", de " protéger la biodiversité ", de " contribuer à l'identité d'un peuple " mais aussi d'" établir des passerelles avec d'autres cultures " et d'" utiliser des pratiques économiques justes " ou encore de " transmettre de bonnes habitudes alimentaires " et de " partager ses connaissances ". Le G9 se réunira de nouveau à Tokyo en 2012. " Un cuisinier n'est pas seulement une personne enfermée dans une cuisine qui prépare des plats pour donner du plaisir à ses clients. Quand il décide d'acheter des produits locaux, de retrouver des variétés autochtones perdues, il donne un sens à sa profession. Ça ne suffit pas d'être un grand créateur, il faut laisser un héritage pour le futur ",explique le directeur.

Cristina Castellanos a fait le voyage depuis le Mexique pour étudier au BCC. Les yeux comme des soucoupes, elle écoute le cours magistral d'un professeur de pâtisserie. Cette jolie jeune fille est euphorique : " Je suis passionnée par la grande cuisine. J'ai pris des cours au Culinary Institute of America en Californie et suivi des stages chez des chefs mexicains et maintenant je suis là, devant de grands chefs, je n'arrive toujours pas à le croire. " Jusqu'à présent, Cristina n'exprimait sa passion que durant son temps libre. " Pour faire plaisir à mes parents, j'ai entrepris des études de communication, mais ça ne m'a pas plu. L'avantage ici est que c'est un cursus universitaire. Mes parents sont tranquilles et moi j'adore ! Ce métier me rend heureuse... "

" Les chefs ont redonné tout son lustre à une profession qui n'était pas bien vue, souligne Alvaro Garrido. Chacun accepte que son rejeton souhaite être médecin, ingénieur ou avocat mais, s'il veut être cuisinier, là, tout le monde lève les bras au ciel. "

Le BCC espère rendre ainsi à la profession les honneurs qu'elle mérite.

Photos Jon Cazenave;

 

 

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